Quelques textes...

 

La petite histoire du Point à la Lune - Septembre 2015


Lorsque j'étais enfant, j'allais tous les étés en vacances chez ma grand-mère. C'était une femme dure et peu causante. Avare et travailleuse infatigable, elle menait une vie calculée et dépourvue de fantaisie.
Elle balayait notre ennui, nos fatigues ou tout désœuvrement, d'un "Sainte Flemme, priez pour eux !" qui nous faisait l'effet d'un claquement de fouet. 
Avec mes cousins, nous passions des heures impitoyables à éplucher les haricots verts du jardin et à dénoyauter les cerises. Nous remplissions ensuite des centaines de bocaux comme si la guerre était aux portes du village!
Sacrée grand-mère... 
Pourtant la mamie cinglante avait un don, de l'or dans les mains, des doigts de fée. Armée d'une aiguille et de fil, elle réalisait des merveilles. Son majeur armé d'un dé de métal courait sur les étoffes, glissait de soies en dentelles avec une fascinante virtuosité.
Elle avait inventé un point de broderie unique, une signature en forme de demi-lune, un petit sourire au point délicat qu'elle déposait à l'angle de ses travaux d'aiguille. C'est dans ce "point à la lune" que se nichait toute son humanité et toute sa poésie…


Sylvie Logghe - Texte déposé -

 

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Côte d’azur. 23 juillet 2021. 

 

Tous les ans, à la même heure, le même jour, Louise s’engage sur le chemin côtier qui court le long de la mer Méditerranée, entre St Jean Cap-Ferrat et Beaulieu sur mer.

Elle prend le temps de respirer la mer. Les sens en éveil, elle goûte le chemin, elle le savoure des yeux. Elle veut ramener à sa mémoire, toute la joie insouciante de cet été-là, de ce jour-là. Elle caresse des yeux le bleu de la mer, c’est le même bleu, unique, que celui des yeux de Gaspard. Elle est comme en pèlerinage d’amour, présente, absolument, à tous les détails, attentive à tous les ressentis. Derrière chaque pin parasol, son visage. Dans la flamboyance des bougainvilliers, une étreinte. Derrière les grilles des demeures abritées de haies silencieuses, leurs baisers volés. Elle avance avec la mémoire des mots fous qu’il déposait dans le creux de son oreille, un chuchotis délicieux. Et tout à coup, elle a 20 ans, la peau lisse dorée de soleil, les cheveux épais, doux et brillants. Elle marche à foulées souples vers son bonheur, pressée de le retrouver, portée par cette évidence au creux du corps, exaltée. Elle est cette femme qui a rendez-vous avec l’homme qu’elle aime.

Des senteurs puissantes de jasmin montent des bordures fleuries, elle revient dans le présent et observe le jeu du soleil et de l’ombre sur les villas élégantes qui bordent le chemin. La lumière se faufile entre les ifs, les oliviers et les lauriers roses. Et la puissance de l’amour ressurgit, l’amour de toute une vie, celui de Gaspard.

De l’autre côté, à Beaulieu sur mer, Gaspard s’engage lui aussi sur le chemin. C’est la première fois qu’il revient sur les lieux de cet amour qui a bouleversé sa vie et failli lui faire quitter sa femme Sophia et leur fille Alice.

Il est bien plus ému qu’il ne l’aurait pensé. Mille fois il s’est imaginé revenir ici mais il ne pouvait pas. Il veut faire le silence en lui pour mieux écouter le chant des cigales. Il veut s’imprégner du ressac en contrebas, du clapotis de l’eau sur la coque des bateaux de plaisance. Il entend le souffle du vent dans les arbres et le pépiement des moineaux cisalpins. Il se pose un instant sur un des petits bancs de pierre qui jalonnent le parcours, il se repose de la chaleur et laisse la paix s’installer en lui comme il le faisait, en attendant l’heure de son rendez-vous avec Louise, guettant sa silhouette gracieuse au détour du chemin.

Puis il reprend sa marche et l’émotion vient le cueillir à nouveau à la vue de la petite plage privée où ils se baignaient à l’abri des regards. Il songe à ce 23 juillet et il pleure doucement. Il songe au rendez-vous qu’il avait pris pour partir avec elle. Il repense à son manque de courage, à son incapacité de tout quitter, à cette lâcheté d’homme marié qui le hante depuis ce jour-là. Le voilà arrivé devant la grille noire de la villa « Fleur du Cap », sa façade rose est envahie par les bougainvilliers. C’est là qu’ils avaient rendez-vous ce 23 juillet à 18h. Sous l’effet du souvenir, sa gorge se serre, la douleur de son renoncement l’accable à nouveau. Il rebrousse chemin, tête basse, refermé en lui-même pour ne plus voir les beautés cruelles de ce site préservé.

Louise arrive devant la grille de la villa « Fleur du Cap », c’est le point d’orgue de sa promenade. Elle se repose un instant sur le petit muret face à la maison. Mon Dieu, comme je l’ai attendu ce soir-là ! Aujourd’hui, la gratitude a remplacé l’amertume. Elle ne veut retenir que le meilleur, la beauté incomparable de cet amour, pas le chagrin. Mais elle se sent lasse et la solitude, cette fois encore, l’enveloppe tout entière. Elle repense à son regard si particulier à force d’être bleu, à la beauté de ses mains d’artiste, à l’odeur de menthe fraîche de son savon Santa Maria de Novella, à l’amour instinctif, si naturel qui a illuminé sa vie l’espace d’un été, au plaisir inédit de leurs étreintes. Comme une hypermnésique, elle se souvient de chaque détail, de chaque mot. Elle avait été invitée à venir passer l’été dans cette magnifique villa par un ami de son père qui avait une fille du même âge qu’elle. Les jours avaient coulé doucement entre bains de soleil et sorties jusqu’à sa rencontre avec Gaspard, un pianiste qui jouait le soir au Jimmy’z à Monte Carlo et parfois dans les soirées privées de la côte. Il avait animé une des nombreuses soirées données dans la villa « fleur du Cap ». Louise avait sombré corps et âme dans cette relation brûlante, incapable de résister à la force de cette attirance insensée. Très vite, il avait été question de ne plus jamais se quitter. Et il ne la quittait plus. Il passait toutes ses journées avec elle, ne travaillant que le soir. Sa femme et sa fille étaient loin, elles passaient leur été en famille dans un petit village de Normandie. Un amour irrémédiable, elle s’en souvient, dans lequel ils s’étaient perdus sans aucune retenue. Un sentiment plus grand qu’eux exacerbé par l’urgence de vivre.

Louise reprend sa marche, sa hanche la fait souffrir. Il fait trop chaud, elle éponge son visage avec son grand foulard. L’étoffe est parsemée de fleurs orange, jaunes et bleues, semblable au merveilleux jardin de Klimt. Un cadeau de lui. Au terme de la promenade, elle s’installe à la terrasse du bar l’ANAO sur la plage de Beaulieu et commande sa boisson préférée, un thé glacé au citron et au basilic. Elle sirote quelques gorgées en regardant autour d’elle. L’effort lui a coupé les jambes. Elle se laisse distraire par les estivants qui profitent de la fraîcheur de l’eau.

Gaspard est fourbu. Il n’aurait pas imaginé être aussi bouleversé. Il boit son thé glacé. Sophia l’a quitté, il y a six mois, elle est morte d’une manière idiote, en tombant dans les escaliers. Sa fille Alice vit depuis longtemps en Australie. Elle a suivi son cœur et épousé son amoureux rencontré pendant son année de césure, à la fin de ses études. Il ne la voit presque jamais. L’absurdité de sa vie lui saute à la figure.

A la table voisine une femme âgée est entrain de siroter la même boisson que lui. Elle porte un joli foulard qui lui rappelle celui qu’il avait offert à Louise. Il l’observe à la dérobée n’osant pas lui imposer un examen trop intense.

Elle le regarde aussi, s’attarde d’abord sur ses mains qui s’agrippent à son verre comme à un élixir de jouvence. Elle remonte vers son visage. Leurs yeux se croisent, s’étudient, impudiques, se sourient, s’accrochent, incrédules, et s’enlacent. L’émotion leur coupe les mots. Sur le point de se parler, ils sont interrompus par l’homme âgé qui vient de s’installer le sourire aux lèvres, à la table de Louise. Il lui prend la main avec sollicitude.

« Ma chérie, tu en as mis du temps ! Notre train va partir dans quelques minutes, je vais régler ta note. »  

« … »

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux rester encore un peu ? »

« Non Robert. Allons-y, il est tard, trop tard. »

 

Sylvie Logghe - Texte déposé -

 

 

IRLANDE - Le vent d'ici - 23 Octobre 2011

 

 

"Le vent d'ici rend fou. Il s'amuse dans vos cheveux. Il vous fait tourner la tête. Engouffré dans la capuche, il se glisse dans vos oreilles. Ici rien ne l'arrête. Il projette la mer contre les rochers par paquets effervescents, il court sur la lande, arrondit les dunes et fouette les arbres. Messager de la pluie qu'il colporte partout sur la terre de mousse imbibée, il infiltre les chemins. Il pluine sur les maisons isolées du bout de la terre. Ici la désolation est verte et rousse, vivante comme l'eau des rivières. C'est le monde de la nature, un territoire conquis par elle, et l'homme, on le sent bien, n'a rien à voir là-dedans. Il s'est juste limité à la borner de pierres granitiques, par endroits.

L'océan est partout, tout autour de nous. D'ici, on le devine plus qu'on ne le voie. Il s'époumone loin de nos yeux. On entend ses appels au large répétés, persistants. Tout juste quelques gifles d'écume à l'horizon. Il s'énerve sur les rochers, poussé par l'énergie colossale de ses rouleaux. Mais à nos pieds, il n'a laissé que des flaques. Des flaques énormes qui reflètent si bien le ciel plombé, qu'elles teintent de gris tout ce qu'elles touchent. La vie doit être rude ici au quotidien. C'est un paysage exigeant, qu'il faut savoir aimer, amadouer comme une fille indocile. Il faut de la trempe pour vivre ici, parce qu'on n'est pas le roi dans ce royaume-là! On y est juste invité. Ici, c'est la nature qui domestique l'homme. Ici, on n'entend plus aucun des bruits de la ville, et ce n'est pas très rassurant, au début. On entend sa voix intérieure. C'est un lieu de paix, le silence y repose comme un joyau dans son écrin de velours vert.

Je me suis souvenue de ce premier voyage en terre d'Irlande, il y a quelques années, une parenthèse idéale, irréelle, à l'époque où j'imaginais que le monde s'écrivait nous. J'avais eu cette sensation, déjà, d'être là en invitée privilégiée. Dame nature m'avait conviée dans ses espaces, comme aujourd'hui. Elle me disait: "Regarde, respire et boucle-là! Je te déroule mes verts, mes roux, mes gris perle, pour t'en mettre plein la vue. Je te fais du silence pour que tu goûtes en paix le spectacle que je t'ai préparé. Laisse aller tes pensées, elles seront lavées par la pluie fine qui tombe du ciel et le vent les emportera au large".

Sylvie Logghe - Texte déposé -

 

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